Thé, serviettes et couvertures de survie
Ce même matin gris et froid où j’ai rencontré Hashim et Yusuf, 12 Vietnamiens mouillés et frigorifiés marchaient sur une route côtière au sud de Calais. Leur bateau avait chaviré.
En revenant de cette mésaventure, ils ont rencontré une équipe de l’association française Utopia 56, qui s’est formée après la mort tragique d’un bambin syrien nommé Aylan, dont le corps a été rejeté sur le rivage en Turquie en 2015.
L’association compte quelque 200 bénévoles qui fournissent de la nourriture, un abri et des conseils juridiques aux migrants dans toute la France. Par nuit claire, lorsque des canots pneumatiques peuvent traverser la Manche, elle « maraude » les quelque 150 km de routes côtières pour venir en aide à ceux qui n’y parviennent pas.
Lorsque nous arrivons à cet endroit, sur la route de Gravelines à Calais, les bénévoles d’Utopia 56 fournissent du thé chaud, des serviettes et des couvertures de survie aux Vietnamiens, puis attendent avec eux l’arrivée des pompiers. Le maire de la ville voisine de Wimereux se présente et accepte de mettre une salle à leur disposition pour qu’ils puissent se réchauffer. Les pompiers se proposent de les y conduire. Selon les volontaires d’Utopia 56 avec lesquels nous nous entretenons, une telle empathie n’est « pas si fréquente ».
Après avoir visité cet endroit, l’équipe d’Utopia 56 se rend sur la plage des Escardines, située à proximité, et scrute le rivage à la recherche d’éventuels migrants naufragés. Des policiers sont présents sur la plage et certains nous suivent.
L’un d’eux interroge l’équipe sur un bateau potentiellement disparu avec 69 personnes à bord. La méfiance des militants à l’égard du policier est visible. « Vous savez, nous avons été formés au sauvetage », dit le policier, en essayant de les rassurer. « Nous sommes là pour ça. S’ils réussissent à traverser, je m’en fous ! »
Plus tard, nous apprenons que vers midi, un navire de la marine française a secouru une embarcation transportant 56 migrants, et que trois passagers (des Kurdes iraniens, semble-t-il) avaient été portés disparus. Le rapport officiel indique qu’après le sauvetage, les passagers ont déclaré que trois personnes étaient tombées à l’eau. Un corps a été retrouvé, mais les deux autres n’ont pu être localisés.
À Calais, que nous atteignons en début d’après-midi, des groupes de migrants quittent leurs campements boueux à la périphérie de la ville pour se rendre en ville. Ils affluent vers le hall où les bénévoles de Caritas accueillent les migrants l’après-midi, leur fournissant de la nourriture, de la chaleur et des conseils sur leurs droits en France et au Royaume-Uni.
En 2016, les autorités françaises ont démantelé le campement, qui était devenu connu sous le nom de « jungle », essentiellement un ensemble de bidonvilles abritant environ 9 000 migrants. Depuis, des dizaines de « jungles » de tentes plus petites, fournies par des organisations caritatives locales, se sont reconstituées à la périphérie de Calais. Malgré les expulsions régulières et souvent violentes de la police, les camps continuent de se reformer.
Selon Juliette Delaplace, responsable de Caritas à Calais, la ville accueille en permanence « plus de 1 000 migrants dans différentes jungles, divisées par communautés – il y a des jungles soudanaises, érythréennes, afghanes. Au moins 60 % des migrants sont soudanais, c’est la première nationalité ».
Cet après-midi, ce sont près de 90 % des 720 migrants qui sont venus au centre Caritas aujourd’hui – certains nouveaux arrivants, et d’autres venant des jungles à la recherche d’un repas et d’un peu de chaleur.
Ce n’est pas nouveau, ajoute M. Delaplace – les Soudanais sont présents depuis au moins 10 ans. Mais ils sont plus nombreux depuis le début de la dernière guerre au Soudan l’année dernière. Et comme ils ont moins d’argent pour payer les passeurs que les réfugiés et les migrants d’autres pays, « ils restent plus longtemps que les autres et sont plus dépendants des ONG », dit-elle.
Malgré le nombre apparemment élevé de Soudanais ici, Calais n’accueille en fait qu’une petite partie des 1,5 million de nouveaux réfugiés soudanais (depuis le début de la guerre), dont la plupart sont accueillis et hébergés par des pays beaucoup plus pauvres limitrophes du Soudan. Depuis 2023, 600 000 personnes ont fui vers le Tchad et 500 000 autres vers l’Égypte, rejoignant ainsi une diaspora estimée à 4 millions de personnes.
En juin 2023, les autorités égyptiennes, débordées, ont suspendu la politique d’exemption de visa – d’abord pour les hommes soudanais, puis pour les enfants, les femmes et les personnes âgées – en dépit d’un accord de 2004 sur la libre circulation. Les réfugiés ont été contraints de payer des frais plus élevés aux passeurs ou de verser des pots-de-vin plus importants à la frontière pour passer.