Une coalition de partis de gauche, le Nouveau Front Populaire (NFP), a remporté le plus grand nombre de sièges à l’Assemblée nationale française, empêchant ainsi un raz-de-marée très redouté du Rassemblement national (RN), parti d’extrême droite, lors des élections législatives.

La victoire historique de dimanche de l’alliance de gauche – composée des socialistes, des Verts, des communistes et de la France insoumise de Jean-Luc Mélenchon – n’a pas été facile. Depuis sa formation le mois dernier, le PFN a été la cible d’un feu nourri de vitriol, tant de la part des élites centristes que de l’extrême droite, et a été diabolisé comme un danger pour l’avenir de la république. L’environnement médiatique était également très hostile, la théorie discréditée du fer à cheval – selon laquelle l’extrême droite et l’extrême gauche sont plus proches l’une de l’autre que l’une ou l’autre du centre politique – ayant dominé le discours entourant les élections.

Marine Le Pen et son protégé, le président du RN Jordan Bardella, ont passé les semaines précédant les élections à essayer d’achever le rebranding de leur parti en tant que nouveau « centre-droit » et à présenter le PFN comme les véritables « extrémistes ». L’alliance de gauche et en particulier Mélenchon ont été accusés d’antisémitisme pour leur soutien à la Palestine, tandis que le RN – un parti fondé par un négationniste condamné – a été présenté comme une force puissante contre l’antisémitisme en raison de sa position pro-israélienne.

Le blanchiment de l’héritage raciste du RN et la diabolisation du PFN comme « antisémite » ont été si importants que le discours dominant des médias après le premier tour du 30 juin était qu’une victoire de la gauche serait aussi néfaste, sinon plus, qu’une victoire de l’extrême-droite.

Le président centriste Emmanuel Macron ayant déjà brouillé la frontière entre le centre et la droite en adoptant diverses politiques autoritaires codées à droite ces dernières années, il semblait que les conditions étaient réunies pour que le RN achève sa réhabilitation en tant que grand parti de droite et prenne enfin le contrôle du Parlement français

Et pourtant, alors que les instituts de sondage prévoyaient une nette victoire du RN, l’électorat français a une nouvelle fois rejeté dimanche les propositions de droite dure de Mme Le Pen, préférant faire confiance à la gauche.

Le PFN est arrivé en tête, remportant 182 sièges, suivi par le parti centriste et néolibéral Ensemble de Macron, qui en a obtenu 163. Le RN de Mme Le Pen et de M. Bardella n’a pu obtenir que 143 sièges, ce qui ne lui laisse aucune chance de former un gouvernement.

La soirée électorale a été dramatique, avec des partisans du RN en larmes et de nombreux journalistes couvrant les élections qui semblaient avoir du mal à comprendre les résultats obtenus par le peuple français. Alors, où le RN s’est-il fourvoyé ?

La nomination de M. Bardella, alors âgé de 26 ans, au poste de président en 2022 a marqué le début d’une nouvelle ère pour le RN. M. Bardella incarnait de nombreuses qualités qui excitent l’extrême droite : la jeunesse, l’hypermasculinité et l’origine immigrée, combinées à une position ferme contre l’immigration, renforcée par l’habituel discours « anti-éveillé ». Il a habilement promu un programme d’extrême droite, s’opposant au droit à l’avortement, propageant l’islamophobie et diabolisant les immigrés, tout en se présentant comme un opérateur politique classique. Il a surtout tenté d’effacer l’histoire antisémite du parti et les opinions néonazies qui prévalent au sein de sa base en offrant un soutien inconditionnel au gouvernement d’extrême droite d’Israël et à sa guerre sanglante contre Gaza. Il a profité des échecs et des tendances autoritaires du gouvernement centriste pour présenter son parti comme un courant dominant et accroître rapidement son influence politique. Le flirt de M. Macron avec des politiques de droite dure, telles que l’interdiction des médias sociaux lors des manifestations, a considérablement aidé M. Bardella à présenter le mouvement qu’il dirige aux côtés de Mme Le Pen comme représentant le courant dominant du populisme patriotique.

Son travail pour rehausser le profil de son parti a culminé avec l’obtention par le RN d’un pourcentage décisif de 31 % des voix lors des élections du Parlement européen du mois dernier et du plus grand pourcentage de voix lors de la première étape des élections parlementaires nationales que M. Macron a convoquées en réponse à ces élections.

Mais lorsqu’il s’est agi du second tour des élections, et qu’un gouvernement français dirigé par le RN est devenu une réelle possibilité, l’électorat a clairement fait savoir qu’il ne voulait pas que l’extrême droite, aussi normalisée et médiatisée soit-elle, prenne la tête du pays. En outre, en apportant son soutien à la coalition de gauche, il a clairement indiqué qu’il ne souscrivait pas à la théorie du fer à cheval ni à l’idée selon laquelle critiquer Israël et sa guerre contre Gaza serait antisémite ou haineux.

Dimanche, Mélenchon et ses nouveaux alliés de la gauche française ont sans aucun doute remporté une victoire monumentale. Ils ont démontré que c’est la gauche et sa demande sans équivoque de réformes significatives et de justice sociale, et non les offres centristes de « plus de la même chose », qui est l’antidote à la popularité croissante de l’extrême droite. Toutefois, il est prématuré de se réjouir.

Le RN a tout de même réussi à obtenir plus de 100 sièges – plus qu’il n’en a jamais eu. La gauche n’a pas la majorité nécessaire pour former un gouvernement à elle seule, ce qui signifie qu’il y aura des troubles politiques dans l’avenir immédiat. Une fois le gouvernement formé, le RN n’en fera peut-être pas partie, mais il aura certainement une voix plus forte au Parlement. Tout porte à croire que le parti se battra encore plus fort lors des prochaines élections.

Néanmoins, la gauche se trouve face à une opportunité importante et incontournable.

L’électorat français a clairement fait savoir qu’il était las de la gouvernance centriste et idéologiquement ambiguë proposée par Macron. C’est l’incapacité du président français à redresser l’économie et les politiques autoritaires qui ont normalisé l’extrême droite qui ont poussé de nombreux électeurs français dans les bras du RN. Aujourd’hui, les électeurs ont rejeté les propositions du RN et la gauche a une réelle chance de mettre en œuvre son programme et de tracer une nouvelle voie pour la France, fondée sur la justice sociale, la protection de l’environnement et une politique étrangère conforme aux opinions et aux valeurs du peuple français.

Le programme du PFN comprend l’augmentation du salaire minimum mensuel, l’abaissement de l’âge légal de la retraite de 64 à 60 ans, la construction d’un million de nouveaux logements abordables en cinq ans et le gel des prix des produits de première nécessité tels que la nourriture, l’énergie et le gaz. L’État prendrait également en charge tous les coûts liés à l’éducation des enfants, y compris les repas, le transport et les activités extrascolaires, le tout financé par une taxation accrue des plus riches. L’alliance de gauche a également promis d’être solidaire des Palestiniens et de mettre fin à l’amalgame fait par le gouvernement français actuel entre l’antisémitisme et la critique d’Israël et de son gouvernement d’extrême droite.

La mise en œuvre de ce programme ambitieux pourrait rétablir l’équilibre du système politique français, agir comme un véritable contre-pouvoir à long terme face à l’extrême droite et ouvrir la voie à un avenir de gauche dans un pays qui doit se remettre d’urgence du néolibéralisme de Macron. Dans l’état actuel des choses, la gauche dispose désormais d’un mandat clair pour diriger, et il est à espérer que le centre n’empêchera pas les forces de gauche de former une coalition, permettant ainsi à Mélenchon de guider la France vers la guérison de ses divisions internes.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement la position éditoriale d’Al Jazeera.

By Laurie

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