« En mai, lorsque le parfum des fleurs et de l’herbe de la grande plaine hongroise embaumera l’air, j’effectuerai une visite d’État en Hongrie à l’invitation du président Tamas Sulyok et du premier ministre Viktor Orban. C’est en ces termes que le dirigeant chinois Xi Jinping s’est exprimé dans un communiqué officiel à propos de son voyage historique à Budapest le 9 mai, dans le cadre d’une tournée qui incluait également la France et la Serbie.
Alors que le reste de l’Union européenne célébrait la « Journée de l’Europe », en l’honneur de la déclaration Schuman de 1950 qui a donné le coup d’envoi du projet d’intégration européenne, M. Orban a fait l’éloge de la Chine de M. Xi, qu’il considère comme « l’un des piliers du nouvel ordre mondial ».
La visite de M. Xi en Hongrie a été marquée par l’annonce d’un projet ferroviaire de deux milliards d’euros (2,1 milliards de dollars), qui vient s’ajouter à un nombre croissant de grands projets industriels financés par la Chine. En décembre, le premier constructeur automobile chinois, BYD, a annoncé qu’il allait construire une usine pour la production de véhicules électriques (VE), tandis que CATL, une autre entreprise chinoise, a entrepris un projet de 7,3 milliards d’euros (7,86 milliards de dollars) pour une usine de batteries.
La Chine est le plus gros investisseur étranger en Hongrie, ayant injecté quelque 16 milliards d’euros (17 milliards de dollars) dans divers projets.
Il s’agissait du deuxième voyage du dirigeant chinois dans ce pays que beaucoup considèrent comme le cheval de Troie de la Chine au sein de l’UE. M. Orban n’a pas fait grand-chose pour dissiper ces opinions. Il s’est prévalu de la gloire de la relation spéciale avec Pékin.
Alors que le gouvernement hongrois fait les yeux doux à Pékin, les Européens, dans l’ensemble, considèrent que la Chine pose des défis stratégiques majeurs. Qu’il s’agisse de la guerre en Ukraine, de la course aux armements nucléaires, des efforts internationaux pour lutter contre le changement climatique ou des préoccupations concernant les pratiques commerciales déloyales, les décideurs politiques et les penseurs stratégiques de Bruxelles et des principaux États membres gardent un œil vigilant sur le rôle de Pékin dans les affaires mondiales.
« Nous devons nous comporter avec respect envers la Chine en termes de commerce », a déclaré le président français Emmanuel Macron dans une récente interview au magazine The Economist, « mais d’une manière qui défende nos intérêts, qui soit réciproque et qui promeuve la sécurité nationale ».
L’Europe souhaite que la Chine soit un partenaire, mais elle est également consciente des risques d’une trop grande dépendance économique, en particulier dans les secteurs émergents tels que les technologies vertes, où les Chinois ont une longueur d’avance. En octobre dernier, la Commission européenne a lancé une enquête sur les VE fabriqués en Chine et vendus sur le marché de l’UE qui bénéficiaient injustement de subventions publiques chinoises.
L’adoption d’une position plus défensive reflète un changement d’humeur dans certaines parties de l’UE. Même ceux qui sont sceptiques à l’égard des positions de Macron en faveur de l' »autonomie stratégique » reconnaissent que l’Union doit être protégée contre les menaces et les risques extérieurs, dont la Chine fait partie.
Au bon vieux temps, lorsque l’UE a surfé sur la vague de la mondialisation et a été la pionnière de l’ouverture des marchés et de la libre circulation des capitaux, il était plus facile d’envisager les relations avec Pékin comme une relation gagnant-gagnant. Tout était question d’efficacité économique.
Le vent a tourné dans les années 2010, lorsque l’Occident a été ébranlé par la crise financière mondiale et que la Chine s’est affirmée dans de nombreuses régions du monde, y compris en Europe. Le déficit commercial de l’UE avec la Chine a plus que triplé pour atteindre près de 400 milliards d’euros (430 milliards de dollars) entre 2013 et 2022. La pandémie de COVID-19 et la perturbation des chaînes d’approvisionnement mondiales, ainsi que l’invasion totale de l’Ukraine par la Russie, qui a concrétisé un rapprochement historique entre Moscou et Pékin, ont porté le coup de grâce à la vision optimiste des relations entre la Chine et l’UE. Actuellement, l’UE considère Pékin comme un « partenaire de coopération, un concurrent économique et un rival systémique ».
L’année dernière, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a appelé à « réduire les risques » liés à la Chine. Reflétant ce nouvel état d’esprit, la première étape du voyage européen de M. Xi comprenait des discussions avec M. Macron et Mme von der Leyen sur les différends commerciaux persistants et sur la politique de la Chine à l’égard de l’Ukraine. Toutefois, peu de progrès ont été réalisés.
Le problème est que la réduction des risques n’est pas universellement acceptée dans l’UE. La Hongrie en est peut-être l’exemple le plus flagrant, mais elle est loin d’être la seule. Il est évident que l’Allemagne n’a pas non plus adhéré pleinement à une nouvelle approche plus stricte. Pour être honnête, lors de sa visite à Pékin à la mi-avril, le chancelier allemand Olaf Scholz a chanté le même refrain que M. Macron. En ce qui concerne l’Ukraine, M. Scholz a appelé les Chinois à « faire comprendre que cette guerre impérialiste insensée doit cesser ».
La chancelière a également fait des déclarations fermes sur les pratiques commerciales perturbatrices de la Chine. Cependant, les liens commerciaux étendus et la présence de grandes entreprises allemandes sur le marché chinois, notamment les constructeurs automobiles tels que Volkswagen, poussent la politique gouvernementale vers l’engagement. En outre, M. Scholz aurait pu venir à Paris pour montrer son unité avec M. Macron et Mme von der Leyen. Mais il ne l’a pas fait.
La position intransigeante du plus proche allié de l’UE, les États-Unis, est également un facteur. Il existe un consensus bipartisan à Washington sur le fait que la Chine est un adversaire géopolitique de premier plan. La plupart des pays de l’UE, dont la France et l’Allemagne, préfèrent rester neutres dans ce combat. En visite en Chine l’année dernière, M. Macron a mis en garde contre le danger de « se laisser entraîner dans des crises qui ne sont pas les nôtres ».
Nombreux sont ceux qui, dans l’UE, craignent l’impact de la concurrence économique et technologique entre les États-Unis et la Chine, ces deux pays distribuant des milliards de subventions pour soutenir leurs économies et éroder ainsi la position mondiale des industries européennes. Pourtant, la réalisation de l’autonomie stratégique reste un défi de taille, notamment en raison de la dépendance à l’égard de la puissance militaire américaine pour protéger l’Europe. Il n’existe pas de recette simple pour naviguer dans la rivalité entre la Chine et les États-Unis.
La tournée européenne de Xi met en évidence les tensions, mais aussi le désir des principales puissances de l’UE de maintenir une relation productive avec Pékin. Toutefois, il semble que la Chine ait actuellement plus de cartes à jouer que l’Europe.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement la position éditoriale d’Al Jazeera.