Le président chinois Xi Jinping effectue son premier voyage en Europe depuis cinq ans, qui devrait être dominé par la guerre de la Russie en Ukraine ainsi que par les tensions économiques entre Pékin et Bruxelles.
La première étape sera la France, Xi devant s’entretenir à Paris le 6 mai avec le président français Emmanuel Macron et la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, avant de se rendre dans le sud des Pyrénées.
Il se rendra ensuite en Serbie et en Hongrie, deux pays qui ont maintenu des liens étroits avec la Russie malgré l’invasion totale de l’Ukraine en février 2022.
Selon Matt Geracim, directeur adjoint du Global China Hub de l’Atlantic Council, le président chinois se rend en Europe avec trois objectifs : « réparer les relations en Europe endommagées par le soutien de la Chine à la guerre de la Russie contre l’Ukraine, émousser l’agenda de sécurité économique de l’UE vis-à-vis de la Chine, et mettre en avant les liens forts de Pékin avec ses partenaires solides que sont la Serbie et la Hongrie ».
Voici tout ce qu’il faut savoir sur la tournée européenne de M. Xi, qui se poursuit jusqu’à vendredi.
Vue d’ensemble
Pékin et Paris célèbrent le 60e anniversaire de l’établissement de leurs relations diplomatiques. La France sera le premier pays occidental à reconnaître officiellement la République populaire de Chine le 27 janvier 2024.
Mais ce voyage intervient également dans un contexte de détérioration de la sécurité mondiale, alors que la guerre en Ukraine est entrée dans sa troisième année et qu’au moins 34 683 Palestiniens ont été tués par les bombardements israéliens sur Gaza.
La France a déclaré que ces deux conflits, en particulier l’Ukraine où Pékin a professé la neutralité mais n’a pas condamné Moscou pour son invasion à grande échelle, occuperaient une place importante dans les discussions.
« Les échanges porteront sur les crises internationales, au premier rang desquelles la guerre en Ukraine et la situation au Moyen-Orient », a déclaré l’Élysée dans un communiqué publié la semaine dernière à l’approche de la visite.
M. Macron s’est récemment imposé comme l’un des dirigeants de l’UE les plus virulents en matière de sécurité sur le continent, et il demandera à M. Xi de faire pression sur le président russe Vladimir Poutine au sujet de l’Ukraine. Dans un entretien avec le journal The Economist publié la semaine dernière, le président français a affirmé que la guerre était existentielle pour l’Europe.
« Si la Russie gagne en Ukraine, il n’y aura pas de sécurité en Europe », a-t-il déclaré. « Qui peut prétendre que la Russie s’arrêtera là ? Quelle sécurité y aurait-il, a-t-il demandé, pour les pays voisins, la Moldavie, la Roumanie, la Pologne, la Lituanie et d’autres ? Moldavie, Roumanie, Pologne, Lituanie et autres ?
Afin de souligner l’unité de la position européenne, Mme von der Leyen se joindra également aux discussions de lundi, qui devraient débuter peu après 11 heures (09h00 GMT).
Outre la guerre en Ukraine, l’Europe est également préoccupée par les pratiques commerciales chinoises et a ouvert une enquête sur les subventions accordées par la Chine aux fabricants de véhicules électriques, car elle craint que ces paiements ne nuisent à la concurrence et ne portent préjudice aux entreprises européennes.
M. Macron a déclaré à The Economist qu’il expliquerait également à M. Xi pourquoi l’Europe doit sauvegarder ses propres fabricants et industries.
Avant le départ de M. Xi la semaine dernière, Lin Jian, porte-parole du ministère chinois des affaires étrangères, a déclaré que Pékin était prêt à « travailler avec la France et l’UE pour faire de cette rencontre une occasion de rendre les relations Chine-UE plus stratégiques, stables, constructives et mutuellement bénéfiques, de promouvoir des progrès réguliers et soutenus dans les relations Chine-UE et de contribuer à la prospérité de la Chine et de l’Europe ainsi qu’à un monde pacifique ».
Après le sommet de lundi, M. Marcon et son épouse, Brigitte, accueilleront M. Xi et son épouse, Peng Liyuan, pour un banquet d’État.
Mardi, M. Macron emmènera le dirigeant chinois dans les Pyrénées, où il se rendait régulièrement pour voir sa grand-mère lorsqu’il était enfant. Les deux couples devraient également prendre un téléphérique jusqu’au sommet du Pic du Midi (2 877 mètres), une réserve de ciel noir.
Après avoir terminé son voyage en France, M. Xi se rendra en Serbie où il arrivera à Belgrade le jour du 25e anniversaire du bombardement de l’ambassade de Chine pour s’entretenir avec le président Aleksandar Vucic. Trois personnes ont été tuées lorsque Washington a déclaré avoir accidentellement frappé le complexe lors de la campagne aérienne de l’OTAN contre les forces serbes occupant le Kosovo, un événement qui a suscité l’indignation et des protestations en Chine.
Depuis, la Chine est devenue la plus grande source d’investissement en Serbie, qui n’est pas membre de l’UE, et avant le voyage, Lin, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, a qualifié les liens entre les deux pays de « inébranlables ».
« L’attentat à la bombe reste un sujet important pour les fonctionnaires chinois, qui l’utilisent pour soutenir des récits qui remettent en question les valeurs des démocraties libérales », a écrit Stefan Vladisavljev, directeur de programme à la Fondation BFPE pour une société responsable, dans une analyse en ligne. « Pour la Serbie, cette visite est l’occasion de renforcer sa position en tant que principal partenaire de la Chine dans les Balkans occidentaux.
Xi se rendra ensuite le 8 mai à Budapest, dernière étape de sa tournée européenne.
Il y rencontrera le président hongrois Viktor Orban, le dirigeant de l’UE le plus favorable à la Russie.
La Hongrie, dont les politiques ont suscité l’inquiétude d’autres membres de l’UE, s’est rapprochée de Pékin et de Moscou et a récemment signé un accord de coopération en matière de sécurité avec la Chine qui permet aux officiers de police chinois de travailler dans des zones où il y a de grandes populations d’ethnie chinoise ou qui sont populaires auprès des touristes chinois, selon Zoltan Feher, chercheur non résident au Global China Hub de l’Atlantic Council.
Des rapports sur ces postes de police chinois ont suscité l’inquiétude dans d’autres régions d’Europe, en particulier parmi les exilés et les dissidents.
La Hongrie fait également partie de l’initiative chinoise Belt and Road, qu’elle a rejointe en 2015, et les deux hommes discuteront probablement de la construction en cours du train à grande vitesse entre Budapest et Belgrade.
Guerre en Ukraine
M. Macron a de plus en plus insisté sur la nécessité de développer une architecture de sécurité propre à l’Europe plutôt que de s’appuyer sur l’OTAN et les États-Unis.
Il a même suggéré que la France serait prête à envoyer ses troupes en Ukraine si la Russie franchissait les lignes de front et que Kiev demandait de l’aide.
La Chine a longtemps maintenu sa neutralité dans la guerre, mais Pékin et Moscou ont resserré leurs liens depuis le début de l’invasion à grande échelle, et Poutine devrait se rendre en Chine ce mois-ci.
M. Macron espère persuader M. Xi de la nécessité pour la Chine de s’impliquer plus étroitement dans les efforts visant à garantir la paix, alors que la Suisse organise le mois prochain une conférence de paix pour discuter d’un plan en 10 points proposé par le président ukrainien Volodymyr Zelenskyy à la fin de l’année 2022.
Les Suisses affirment avoir déjà invité plus de 160 délégations, mais il n’est pas certain que Pékin, qui a également présenté une proposition de pourparlers de paix et déployé son propre envoyé dans la région, soit présent.
La Russie a rejeté à plusieurs reprises le processus et insiste sur le fait qu’un préalable aux négociations est que Kiev renonce aux 20 % de son territoire que la Russie occupe actuellement.
« Nous devons continuer à impliquer la Chine, qui est objectivement l’acteur international ayant le plus de poids pour faire changer Moscou d’avis », a déclaré une source diplomatique anonyme citée par le journal français Le Monde.
Droits de l’homme
Les médias d’État chinois ont rendu compte avec enthousiasme de l’arrivée de M. Xi à Paris, des rues décorées de drapeaux chinois et français et des groupes de ressortissants chinois accueillant leur président.
Mais des militants pour le Tibet et le Xinjiang, où les Nations Unies estiment que la Chine a commis des crimes contre l’humanité en détenant quelque 1 million de musulmans ouïgours dans des camps de rééducation, étaient également présents dans les rues de la capitale.
En mars 2021, l’Union européenne a imposé des sanctions ciblées à certains fonctionnaires et entreprises chinoises au sujet du Xinjiang, ce qui a suscité la colère de Pékin.
Ravi de participer à une manifestation à Paris pour « saluer » la visite de Xi Jinping
Incroyable de voir la solidarité mondiale entre les Tibétains, les Ouïghours, les Hongkongais et beaucoup d’autres qui cherchent à se libérer du PCC.
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香港人加油 pic.twitter.com/ecsnOjqZDN– Anouk Wear 華穆清 (@anoukwear) 5 mai 2024
Human Rights Watch estime que si le président français n’a pas soulevé la question publiquement lors de sa visite en Chine l’année dernière, il devrait le faire pendant que Xi est à Paris et demander la libération des personnes détenues ou emprisonnées arbitrairement, y compris Ilham Tohti, un économiste ouïghour qui a reçu le prix Sakharov, le prix européen le plus important en matière de droits de l’homme en 2019.
L’organisation de défense des droits de l’homme a déclaré que M. Macron devrait également soulever la question du Tibet, où quelque 1 million d’enfants tibétains sont placés dans des internats et séparés de leur langue et de leur culture, et de Hong Kong, qui était autrefois le territoire le plus libre de Chine, mais qui est désormais soumis à deux lois draconiennes en matière de sécurité.
« Le président Macron devrait faire comprendre à Xi Jinping que les crimes contre l’humanité commis par Pékin ont des conséquences sur les relations entre la Chine et la France », a déclaré Maya Wang, directrice par intérim pour la Chine à Human Rights Watch, dans un communiqué. « Le silence et l’inaction de la France en matière de droits humains ne feraient que renforcer le sentiment d’impunité du gouvernement chinois pour ses abus, alimentant encore davantage la répression dans le pays et à l’étranger. »
Le 30 avril, M. Macron a été photographié au palais de l’Élysée avec Penpa Tsering, le président du gouvernement tibétain en exil, en marge d’une cérémonie en l’honneur de l’ancien sénateur André Gattolin, un partisan de longue date du Tibet, qui s’est vu décerner la Légion d’honneur.
Penpa Tsering a présenté au président français une photo dédicacée de sa rencontre de 2016 avec le Dalaï Lama et l’a « exhorté à ne pas oublier le Tibet », selon un rapport de l’Administration centrale du Tibet.
« Nous comprenons que l’agenda entre les deux présidents sera dense compte tenu des nombreuses crises internationales comme en Ukraine et au Moyen-Orient, mais cela ne doit pas se faire au détriment des échanges sur les droits de l’homme, qui sont dans un état déplorable dans tout le pays ainsi qu’à Hong Kong, au Xinjiang et au Tibet, où un conflit latent dure depuis plus de 60 ans et constitue une menace pour la sécurité régionale et internationale », a déclaré Vincent Metten, directeur de la politique européenne pour la Campagne internationale pour le Tibet, dans un communiqué.
Dans le rapport 2024 de Freedom House sur la liberté dans le monde, la note globale du Tibet est de zéro sur 100, la plus basse depuis au moins huit ans.
Maryse Artiguelong, vice-présidente de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), a déclaré : « Le conflit en Ukraine met en évidence la menace que font peser sur l’ordre et la sécurité internationaux des régimes autoritaires tels que la Russie et la République populaire de Chine. Leurs politiques étrangères agressives et leurs politiques intérieures répressives sont inextricablement liées : Quiconque ne s’oppose pas aux violations des droits de l’homme commises par la Chine risque un jour d’être confronté à sa politique étrangère agressive ».